Mon pays, ce n'est pas un pays !

Question d'identité, en Bretagne et ailleurs…

Beaucoup de pays et régions, " officiellement " colonisés ou non, subissent une importante oppression économique, culturelle, policière…de la part d'un Etat voisin. Les Breton-nes n'ont évidemment pas le passé atroce des palestinien-nes, irlandais-es…ou basques (tortures, exécutions…), cependant il ne s'agit pas ici de juger des violences subies, mais de tenter (à partir de l'exemple de la Bretagne) d'analyser les raisons de "manifestations identitaires".

La nation, un mythe constitutif de l'Etat ?

Poser la question de la nation dans ces termes c'est questionner les relations entre Culture, Nation et Etat. Si on prend l'exemple de la nation française, celle-ci est créée directement et artificiellement par le pouvoir révolutionnaire et la bourgeoisie afin d'organiser au mieux le marché ; celle-ci a utilisé les aspirations émancipatrices du 18 et 19ème siècle pour créer une nouvelle forme d'organisation sociale, basée sur la propriété privée, la représentation parlementaire et la nation.

France et Jacobinisme

La nation dans ce cas est le résultat d'un processus historique indépendant de toute légitimité, de toute identité nationale pouvant se fonder sur des éléments objectifs, sur des éléments culturels. Pour affirmer, renforcer le concept d'Etat-nation, si cher aux Chevènement, Hue et Le Pen, il a fallu créer de toute pièce une idéologie nationale : au-delà de l'identité religieuse, offrir une culture identitaire qui permette de dépasser, d'effacer les divisions en classes sociales, et autres formes de dominations. De l'école, à l'armée en passant par le sport, il faut renforcer ce sentiment :"On est tous ensemble".

L'état crée la nation

Cet exemple démontre que c'est la nation qui est créée par l'Etat et non l'inverse. Processus historique intéressant car il montre que le concept de nation, le nationalisme, est forcément au service de l'état et est donc forcément réactionnaire car "il plaque de force sur les différentes parties de la grande famille humaine, un caractère déterminé suivant une idée préconçue." (Rocker, cité Itinéraire n°4).

Colonialisme et libération

Il existe néanmoins d'autres processus historiques, en particulier dans les régions colonisées… Dans ces régions subissant une forte oppression étatique, un colonialisme, une culture dominante, une résistance existe. Et comment pourrait on nier la légitimité de la lutte des Kanaks, des Algérien-ne-s… à qui on impose une culture, une forme d'organisation sociale où ils/elles seront dominé-e-s et exploité-e-s ? Noir-e en Afrique du Sud, nous n'aurions pas beaucoup de choix : la réalité d'une oppression détermine aussi nos choix de luttes. Et la lutte crée une culture, la culture étant notre résistance consciente à un état dit "naturel".

Les libérations nationales

Contre une domination étatique, une réaction se crée : les mouvements de libération nationale. Souvent la culture (que l'on redécouvre, dont on choisit les éléments les plus propices) accompagne ces mouvements et se forge à travers les luttes. A travers ces résistances une identité politique et culturelle est donc en train de vivre et de s'élaborer. Et cette logique identitaire pourrait être approchée du concept de nation . Dans ce cas particulier historique, on peut trouver un lien direct entre culture et nation.

Se libérer... vers quoi ?

Ce lien entre culture et nation ne peut pas être nié dans certaines conditions historiques, nous n'adhérons pas pour autant aux mouvements de libération nationale. Car au-delà même des questions sur la nature de cette culture qui peut tout à fait être elle-même porteuse de dominations (cas de l'algérie et des femmes par exemple) ; se pose la question de la suite et des propositions et perspectives : le devenir de cette nation ? Car si effectivement certaines de ces luttes sont porteuses d'une réappropriation de l'espace politique, de l'espace décisionnel, les mouvements nationalistes ont toujours la même proposition : créer un Etat.

Un état libérateur ?

C'est ainsi qu'Emgann (mouvement de libération Breton) parle de "créer une institution bretonne afin de rapprocher le pouvoir du peuple, de construire une démocratie de proximité" (Civelle rebelle, Scalp Nantes).

L'état et la norme...

Or, comme nous l'avons déjà précisé, Etat-Nation et identité culturelle ne doivent pas être confondues. L'état breton sera le meilleur moyen de normaliser "Une identité" bretonne. Défendre une langue et une culture c'est parfois lutter contre l'atomisation des individu-e-s, appeler à construire un Etat (avec ses frontières, ses passeports, ses flics, ses huissiers…) c'est faire exactement l'inverse.

L'état ne libère pas

En ce sens le trio Culture, Nation et Etat ne peut être révolutionnaire, ce qui explique que souvent un patronat trouve plus d'intérêts dans des structures régionales fortes, (afin de lutter contre des tendances trop concentrationnaires et les risques d'absorption que cela peut engendrer) et s'allie aux mouvements régionalistes qui s'appuient sur le mécontentement légitime envers le centralisme.

L 'Etat-nation français existe, les bretn-nes l'ont rencontré…

Comme dans beaucoup de régions, la population bretonne rurale est jusqu'à ces dernières décennies restée sous la domination politique de nobliaux, de curés et de notables.

L'apparition d'un nationalisme "de gauche"

Vers la fin des années 50, s'est composée une mouvance politique bretonne de gauche, qui ne se reconnaissait ni dans ces notables locaux et leur folklore, ni dans la gauche française et son centralisme et encore moins dans des indépendantistes de sinistre mémoire qui collaborèrent franchement avec les occupants nazis, dans l'espoir d'obtenir ainsi l'indépendance de la Bretagne (Breiz Atao, aujourd'hui rescucités par la mouvance nationale socialiste bretone ADSAV).

Plusieurs axes de critiques

Cette mouvance politique s'est constituée autour de plusieurs axes de critiques : En premier lieu, il y a la critique de l'Etat français et de son jacobinisme. Les décisions qui engagent la région se prennent à Paris. Cette mouvance conteste la notion de "vocations" allouée à la Bretagne par Paris. Il s'agit en effet de spécialiser la Bretagne dans un certain nombre de "vocations" comme l'agriculture et la pêche (avec les avatars qu'on connaît, la pollution des eaux notamment), le militaire (et en particulier le nucléaire militaire) et le tourisme, avec en prime le développement du secteur de la recherche en téléphonie (Lannion, Rennes). Une vocation moins officielle est attribuée aux bretonnes émigrées à Paris, qui, récupérées sur les quais de Montparnasse, se retrouvent trop souvent bonnes et/ou prostituées.

Quand Bécassine s'énerve…

La revendication culturelle

Globalement, c'est la négation par Paris de la culture et en particulier de la langue bretonne qui hérisse à juste titre le poil de cette mouvance : réduites à une bouillie folklorique, culture et langue bretonne sont dénigrées, réprimées même, au nom de l'unité de la nation française. Les médias français aiment beaucoup les manifestations folkloriques, et savent ce qu'est un-e vrai-e breton-ne : c'est quelqu'un-e qui pleure au son du biniou, qui porte un ciré jaune ou une coiffe, qu'est têtu-e, gravement catholique, qui boit du cidre et qui roule bourré-e après avoir quitté la compagnie sur un dernier "kenavo". Les investisseurs savent ce qu'est la Bretagne : c'est un endroit plein de côtes à bétonner où les gens ont une aspiration principale : que T.F.1 leur envoie le juste prix et les dessins animés japonais en langue bretonne.

La défense de la langue

Dans les années 50, 60 se développent donc les mouvements culturels bretons autour de la défense de la langue et des cultures bretonnes (Ar Falz, puis les écoles Diwan depuis les années 70), ainsi que des organisations politiques comme l'UDB (Union démocratique bretonne). Existent aussi des mouvements politiques plus radicaux se revendiquant de l'indépendance de la Bretagne : ces mouvements entendent se développer par la voie politique comme Emgann ou sont tentés par l'expérience de la lutte armée, tel le FLB-ARB des années 70, dont le principal fait d'armes a été l'attentat contre le pylône de télédiffusion de Roc'h Tredudon qui priva de télévision française les habitant(e)s du Finistère, des Côtes du Nord et du Morbihan pendant plusieurs semaines en 1974.

La lutte armée

Ces dernières années, des attentats revendiqués par l'ARB (armée révolutionnaire bretonne) ont repris en Bretagne ou dans des lieux symboliques, comme la mairie de Belfort (ville de Chevènement) ou à Cintegabelle (ville chère à Lionel Jospin). Ces attentats, visant essentiellement des cibles matérielles, ont finalement fait une victime à Quévert dans les Côtes d'Armor, le 19 avril dernier (1).

Une répression systématique.

Tout au long des années 1990, le mouvement breton, voire de simples individus, ont été l'objet de la répression étatique, sous le coup d'accusations "d'aide logistique à bandes terroristes", en l'occurrence de l'ETA, en fait pour le simple fait d'avoir hébergé des Basques en fuite.

La lutte historique contre Franco

Depuis l'écrasement de l'Espagne par Franco, cette solidarité entre Bretons/onnes et Basques ne s'est jamais démentie, y compris depuis la mort de Franco. Sous prétexte d'antiterrorisme, elle a souvent fourni l'occasion d'une répression sévère (lourdes peines de prison). Depuis le vol des explosifs, huit tonnes de titanite 30, à Plévin, mais surtout depuis l'explosion d'une bombe au Mac Do de Quévert, et la mort d'une jeune femme (ayant eu le seul tort d'ouvrir la mauvaise porte au mauvais moment), l'état français a su prouver qu'il gardait toujours un chien de sa chienne de République à tout-e breton-ne un tant soit peu investie dans le militantisme, nationaliste ou non.

L'attentat mortel de Quévert

Après l'annonce de cette mort, une sorte de douloureuse paralysie a touché l'ensemble des personnes investies dans la sphère politique (mais aussi culturelle, éducative…) bretonne : peu de déclarations, peur à tous les étages… Cette vague de panique (peur d'être sous écoute, d'être suivi-e, angoisse de la garde à vue, de l'arrestation, peur pour les autres, attente terrible pour les emprisonné-es..) est plus que justifiée par l'ampleur de la répression policière. Ce sont plusieurs dizaines de personnes qui, parfois sur des soupçons, mais souvent dans le but de simples recherches de renseignements, ont été gardées à vue, leur domicile perquisitionné, leurs familles intimidées. La plupart des personnes ont été retenues 48 à 72 heures, voire plus.

Prétexte idéal pour la répression de l'état Français

Il convient aussi de signaler que les interpellations se font dans des milieux de plus en plus éloignés des activistes présumés : il suffit parfois d'être collègue de travail ou simple relation de bistrot pour se voir interpeller. Ces interpellations se passent parfois dans des conditions très "Starsky et Hutch" : ainsi, Claude D, professeur de breton à Lanester, a été arrêté devant ses élèves, lors d'une visite de l'Ile de Groix et embarqué en hélicoptère… Par la suite, il a été relâché : son seul tort ayant été de protester dans une poste contre le fait de ne pouvoir écrire son chèque en breton…  

France état policier

Huit personnes sont aujourd'hui sous les verrous. Selon les avocats des principaux mis en examen, les conditions des gardes à vue sont "hallucinantes" : interrogatoires durant 96 heures (le maximum de temps de garde à vue dans les affaires de terrorisme), pause de seulement 2 heures de sommeil... Or personne n'a revendiqué ces attentats et aucun élément matériel ne permet de leur en faire porter la responsabilité : pour ce qui concerne l'ex porte-parole d'Emgann, le seul fait d'avoir transmis le communiqué de l'A.R.B (alors qu'Emgann a toujours passé les communiqués de l'A.R.B dans son journal…) leur paraît tout à coup légitimer son inculpation !

Prisonniers politiques

Nous avons déjà signalé ici ce que nous pensions des poseur-euses de bombe qui s'enfuient sans s'assurer de l'explosion (sans téléphoner pour prévenir de la présence de la bombe, quand une mise à feu n'a pas fonctionné…), nous avons déjà précisé que leur responsabilité ne nous semblait pas remise en cause par la réalité de l'oppression policière. Mais, pour autant, il est inadmissible que pourrissent en prison des personnes qui ne sont rien d'autres que des prisonniers politiques : n'est ce pas plus l'explosion de la mairie de Cintegabelle qu'elles paient, que l'attentat de Quévert ? N'est-ce pas l'occasion rêvée pour confondre, grâce aux médias, revendications culturelles et terrorisme nationaliste ?

h1>La langue du pouvoir…

N'hésitant pas deux secondes devant le ridicule, le M.D.C de Chevènement parle de danger de balkanisation avec la ratification de la Charte Européenne des langues régionales ou minoritaires…

La charte européenne des langues minoritaires

Une partie des articles de ladite charte a été signée en mai dernier, "laissant la possibilité de…" (en particulier dans le domaine éducatif) mais n'obligeant strictement à rien. En résumé, si les associations se battent avec assez d'énergie, d'autres écoles bilingues avec "immersion à 100%" en maternelle dans la langue régionale, peuvent exister suivant la volonté politique locale et l'argent qu'on voudra bien leur débloquer au coup par coup… Or l'éducation, camarades socialistes, vous devriez y être très attentifs, car c'est un domaine où vos aïeux républicains ont beaucoup péché…

Il est interdit de cracher par terre et de parler breton…

Pour inciter les "bons patriotes" à délaisser leurs langues maternelles et à adopter la langue française, les hommes politiques de la convention vont dévaloriser les unes et survaloriser l'autre : c'est l'école qui va être chargée de propager l'idéologie nouvelle en même temps que la langue française. Les hussards noirs de la République vont tout mettre en œuvre pour éliminer le breton, jusqu'à l'humiliation la plus radicale : faire lécher le sol pour régénérer la langue… D'autres méthodes sont rapportées : la délation est instituée en système grâce au "symbole". Cet objet est souvent un sabot autour du cou que les enfants refilent à leurs petits camarades qu'ils ont surpris à parler breton pendant la récréation. Le dernier enfant se trouvant en possession du symbole à la fin de la journée est puni…

Le symbole...

Le symbole a été utilisé comme stratégie de répression jusqu'en 1960… En discréditant leur langue à leurs yeux c'est aussi leur milieu familial (populaire), qu'on dévalorisait. Ils ont eu honte d'eux-mêmes et des leurs… et certains de leurs enfants et petits-enfants ayant reçu cette humiliation en héritage, l'ont transformée en revendications nationalistes…

L'état formate

Et dicte

Alors "camarades" socialistes, quand vous pesez de toute votre inertie contre le financement de l'enseignement des langues minoritaires, vous faites résonner cette histoire-là, et on peut se demander si ce n'est pas tout à fait volontaire :
- Vous donnez ainsi la possibilité à tous les crétins patriotes de Bretagne et d'ailleurs de jouer au petit soldat anti-français tout en vous posant en défenseur de la République une et indivisible…
- Vous évitez les vraies questions fondamentales : le discours traditionnel était centré sur l'égalité au-delà de la différence, or des jacobins aux marxistes on a vu avec quelle violence se faisait cette invisibilisation des différences…
- Parler une autre langue, c'est se décentrer du discours de l'autre… c'est s'autoriser un regard extérieur, y compris sur son propre langage, c'est multiplier les façons de dire le monde et de se définir soi-même… C'est donc une revendication essentielle que les anarchistes soutiennent…

La culture un moyen d'être soit et de développer une conscience critique

L'identité culturelle repose sur trois points principaux, qui s'interpénètrent : la langue, les arts, et les types de relations sociales :où, quand et comment les gens se rencontrent-ils, débattent, travaillent.. (d'autres facteurs y participent comme les pratiques religieuses, l'attachement à un type de géographie…). Ces trois points (langue, arts, organisation sociale) tournent en fait autour d'une spécificité des moyens de communication. Spécificité qui n'exclue pas le rapport à l'universel… En effet, toute culture n'est pas absolument différente des autres, n'est pas figée (une langue évolue dans le temps, se différencie suivant les régions…), et n'est pas parlée de la même façon par la vieille paysanne et la notaire (niveaux de langue)… Toute langue, toute culture est réappropriée par l'individu . L'identité personnelle est faite de différents niveaux qui se mêlent (identité sexuée, appartenance de classe …) et qui construisent la subjectivité de la personne.

h2>Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part...

Se sentir d'ici ou ne se sentir de nulle part est beaucoup plus le résultat d'une histoire de vie que l'aboutissement d'un processus intellectuel… Se sentir "fier-e d'être breton-ne",ou scander "enfants de la classe ouvrière et fiers de l'être"… n'a pas plus de sens que se déclarer "fier de ses muscles" ou "fier du château familial"…

Il est vrai que se revendiquer d'une tribu, ça tient chaud…

On peut se sentir fier de ce qu'on fait, de ses luttes, pas de ce qu'on est

Trop de révolutionnaires n'ont voulu voir en Bécassine qu'une employée exploitée par ses patron-nes, trop de nationalistes n'ont voulu y voir qu'une Bretonne exploitée par des parisien-nes… La reconnaissance du pluralisme et des différences ne peut manquer d'avoir des conséquences importantes sur la manière dont on conçoit la sphère publique. Ne devons-nous pas penser la relation entre universalisme et particularisme d'une manière entièrement nouvelle ? Notre particularisme ne doit pas se scléroser, refuser le métissage, refuser les critiques au risque de défendre avec les droites extrêmes, les nationalistes de toutes patries, de toutes régions une vision figée et sclérosée du chacun-e chez soit.

Guy Naoueg Lena Oned Denez Eusa Tanguy Naoueg