LUTTES DE LIBERATION NATIONALE

Alors que le capitalisme s'internationalise toujours davantage et tend à homogénéiser les modes de vie, à transformer en marchandises toutes les activités humaines, les hommes, eux, tendent à l'inverse à s'orienter vers une redécouverte de leurs identités constitutives (fictives ou réelles, ou les deux à la fois).

Ce furent les luttes anticolonialistes et anti-impérialistes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en Amérique latine, en Afrique ou en Asie. Ce furent ensuite les luttes identitaires ou indépendantistes au cœur des métro­poles impérialistes d'Amérique et d'Europe. C'est maintenant l'apparition sur le devant de la scène de multiples peuples issus de l'ex-Empire soviétique. Ce sera bientôt, n'en doutons pas, le cas en Chine et dans le sous-continent indien... en attendant que les frontières africaines issues de l'ère coloniale, tirées au cordeau, n'explosent

Les mouvements qui surgissent depuis quelques années sont le plus sou­vent taxés de réactionnaires. Indiquent-ils un retour de l'humanité vers une sorte de barbarie, où les affrontements nationalistes dameraient le pion à tous les espoirs de paix, d'égalité, de socialisme? Sont-ils au contraire porteurs d'immenses espoirs de voir se redéfinir le monde vers des dynamiques contraires à celles du capitalisme et à l'exploitation de l'homme par l'homme ? Ni l'un ni l'autre, vraisemblablement.

Nombre de mouvements des années 60 étaient souvent, à gauche, parés de toutes les vertus. Sous l'influence des révolutions chinoise et cubaine, du fait de la stratégie de non-alignement de la Yougoslavie titiste, et en raison des modifications des structures de classes en Occident durant les. trente glorieuses ", une certaine extrême gauche développa le tiers-mondisme. Cette idéologie considérait les pays du tiers monde, et plus particulièrement les mouvements populaires de libération nationale, comme LE nouveau sujet révolutionnaire un substitut au prolétariat, unique agent de la révolution dans la vulgate marxiste. Cette analyse tiers-mondiste conduisit alors nombre d'organisations à un alignement inconditionnel sur les mouvements de libération au Sud: Cuba, Algérie, Vietnam, Cambodge, Salvador, Nicaragua...

L'OCL a toujours critiqué cette tendance. Dans tous les cas, notre soutien à certaines luttes de libération nationale: n'est jamais inconditionnel et prend soin d'établir une distinction entre les directions et les mouvements, entre les Etats et les peuples; est attentif en premier lieu au contenu de ces luttes quant à l'émancipation sociale et non pas seulement nationale; essaie de comprendre que, comme dans tout mouvement, il existe dans ces luttes des tendances plus intéressantes que d'autres, et des rapports de forces entre elles. Nous n'avons donc pas de positions tiers-mondistes, mais des positions anti-impérialistes.

Le concept de nation ne peut se réduire ni à une notion juridique ni à un espace borné, et encore moins à un Etat. La nation, c'est tout simplement un ensemble de gens qui se reconnaissent comme en faisant partie (souvent, on est conscient d'une appartenance lorsque celle-ci est attaquée ou niée). Les éléments qui constituent cette autoreconnaissance constituent, au sens large, la culture. Ils sont très divers et vont de l'organisation sociale aux simples habitudes, de la langue à la religion, du mode de vie au mode de produc­tion, des références historiques à la reconnaissance d'un espace géogra­phique... C'est une référence collective composée de la totalité ou d'une par­tie seulement de ces éléments. C'est une communauté d'individus présentant un certain nombre de points communs à un moment donné, mais qui se situent également et simultanément dans le temps (le présent, le passé et l'avenir) et l'espace.

Si nous sommes solidaires ou participons à certaines luttes de libération nationale, ce n'est pas par goût particulier du nationalisme, mais parce qu'elles participent au combat pour la ré appropriation d'un pouvoir dans l'es­pace où vivent les gens (ce sont des luttes pour la souveraineté). Les dyna­miques de luttes de libération nationale peuvent placer les gens dans un rap­port d'ouverture avec l'extérieur, d'attente des autres, d'échange, de débat qui ouvre des perspectives autant internationalistes que nationalistes.

Ces luttes sont traversées de contradictions et présentent un aspect beau­ coup plus global, plus politique, que bien d'autres luttes enfermées dans le carcan de leurs spécificités, donc plus faciles à neutraliser. Le point limite des luttes de libération nationale, c'est bien sûr celui où l'affirmation de l'appar­tenance se retourne en une logique d'exclusion. Cette réversibilité dans la non appartenance est contenue virtuellement dans la logique de l'apparte­nance. C'est sur ce point limite-là que la vigilance doit s'exercer, et pour cela se nourrir d'autres valeurs - comme l'égalité, la solidarité, le droit au refu­ge, à la libre circulation des individus ou l'internationalisme.

Il Y a quelques axes stratégiques à défendre dans une lutte de libération nationale comme dans l'éventuel soutien que nous pouvons lui apporter­ au-delà, bien entendu, de la liquidation de la domination étrangère:

- Libération nationale et sociale: une position de classe dans la lutte

- Défendre l'idée que la libération ne passe pas par l'installation d'une bourgeoisie nationale, mais par une réorganisation de la vie sociale et de la production orientées vers la satisfaction des besoins exprimés par les classes exploitées, et non en fonction des impératifs du marché et du profit.

- Combattre les tactiques d'intégration dans les institutions et préserver l'autonomie des structures de contre-pouvoir qui se mettent en place.

- Lutter contre les formes de revendications ou de lunes qui tendraient à renforcer le poids d'une future ou actuelle bourgeoisie, ou des notables.

Libération à caractère libertaire

- Favoriser le poids des structures populaires de base au détriment des partis.

- Maintenir la lutte armée, si elle existe, dans un rôle de prolongement des

luttes sociales, culturelles et politiques, et veiller à ce qu'elle n'acquiert pas un rôle de direction.

- Œuvrer pour que l'appartenance volontaire à la lutte remplace les liens du sang, par définition interclassistes. Favoriser dans le lien d'appartenance ce qui s'acquiert (langue, lutte...) au détriment de ce qui est donné (race, filiation...).

O.C.L. 96'