Emile Masson (1869-1928)
La genèse d'une pensée socialiste bretonne
Emile Masson est un personnage du mouvement breton difficile à cerner. Ses idées socialistes et libertaires vont le faire évoluer dans un paysage politique breton en pleine composition.
Léonnard de naissance mais
non bretonnant, il va suivre une scolarité assez brillante. Cette scolarité
marquée par l'obtention de deux licences (philosophie et anglais)va être
marquée par plusieurs longs séjours à Paris. Cette période parisienne est l'occasion
de sa maturation politique. Il se lie avec plusieurs mouvements du milieu
gauchisant de l'époque : dreyfusards, anarchistes, collectivistes,
anti-militaristes. Il prend part aux universités populaires(1899/1905). Ces
universités avaient pour but d'instruire les ouvriers en leur donnant des cours
par des personnes qualifiées. Séduisante idée à la base, l'expérience fut
cependant un échec car ces universités vont perdre leur idéal initial. En
effet, l'instruction ouvrière, pour rendre cette classe active, va vite tourner
au paternalisme et à la collaboration de classe. De cet échec, Emile Masson
gardera cependant une foi dans l'instruction comme moyen de libération des
masses prolétaires.
Le métier d'enseignant
amène Emile Masson à faire carrière dans un lycée de Pontivy où il enseigne
l'anglais. Le lycée de l'époque est très différent de celui d'aujourd'hui. Il
dispense un enseignement de la sixième à la terminale et concerne les classes
aisées de la population car il est payant. Seuls certains élèves des milieux
modestes peuvent y accéder s'ils obtiennent une bourse. Ils forment une
population en retrait dans l'établissement. Emile Masson va être très proche de
ces élèves boursiers. Il apprend le breton à leur contact. Certes, au début, ce
n'est qu'oralement( ces élèves n'ont jamais eu d'enseignement écrit en breton,
ils ne savent pas l'écrire), mais cela va lui faire apprendre par la suite le
vannetais. Il va ainsi développer une conception politique particulière,
associant socialisme et langue bretonne.
Emile Masson est un
socialiste libertaire. Internationaliste farouche, il tente de concilier cette
idée avec l'identité bretonne. Ainsi, il s'oppose aux socialistes français de
l'époque. Il est d'abord foncièrement contre l'idée de partis ou de syndicat
(c'est son côté libertaire) qu'il juge contraire à l'intérêt de l'individu( ils
reproduisent l'oppression ; E.M vise particulièrement ceux d'inspiration
marxiste). Ensuite, pour Masson, la libération de l'individu passe par la
réappropriation de son identité. Le français fait du Breton un étranger à
lui-même. Dans cette optique il fonde la revue Brug (bruyère). Cette revue
bilingue(breton/français) doit propager les idées socialistes et libertaires
auprès du paysan breton.
Les socialistes français
sont hostiles au particularisme. Certes, un Jaurès n'est pas hostile à
l'enseignement du breton, du basque et des langues du Midi : il ne sépare pas
la conscience ethnique de la conscience de classe. Mais la plupart des
socialistes ne conçoivent de faire avancer leurs idées que par un centralisme
farouche. De plus, ils ne voient dans les mouvements régionalistes qu'une
émanation de la droite et des cléricaux( ce qui n'est pas faux à l'époque). Les
langues régionales ne sont, à leurs yeux, qu'un instrument de la réaction. Il
est pour eux impossible d'être républicain, laïc et régionaliste.
Emile Masson va à
l'encontre de leurs idées : les peuples et les prolétaires doivent être
instruits dans leur langue maternelle. Cela sera le seul moyen d'émanciper le
prolétariat breton. En effet, en Bretagne le prolétariat est breton : celui qui
parle breton c'est le travailleur et non le possédant(qui, lui, est acquis à la
culture française). Le combat pour la libération du prolétariat breton va de
pair avec le combat pour la langue bretonne. Si l'on veut faire pénétrer les
idées socialistes chez le prolétaire breton il faut le faire en breton. Faire
de la propagande socialiste en français c'est se fermer aux paysans bretons.
Emile Masson traduira à ce titre des œuvres de penseurs socialistes comme
Elysée Reclus, ou Antée, ouvrage politique où il développe ses idées. De plus,
laisser le terrain de la langue aux forces conservatrices, c'est laisser les
idées réactionnaires progresser allègrement. L'erreur des socialistes est là : elle
condamne le seul moyen de communication qu'elle a
pour développer ses idées.
La condamnation d'Emile Masson est sans appel : " (parlant du Breton) que
sa langue, son moyen d'expression et de communication ont été et soient
impitoyablement condamnés par ceux qui parlent d'affranchissement universel, du
droit des peuples, de droit des individus ". Emile Masson, à juste titre,
rend les socialistes français responsables de la situation en Bretagne : par
leur jacobinisme, ils ont limité la progression du socialisme en Bretagne. Or,
pour Emile Masson, le socialisme est Arthur : c'est le socialisme qui libérera
la Bretagne de ses chaînes. Seulement, ce socialisme s'adaptera à la Bretagne
et non le contraire. Ce socialisme sera celui qui unira les peuples dans leurs
différences : le respect de chaque entité dans une communauté commune. Il
concilie ainsi son internationalisme avec son nationalisme breton.
La pensée d'Emile Masson
est ainsi particulière : à la fois nationale et internationale, socialiste mais
farouchement opposée aux socialistes français, libertaire opposée aux partis.
Dans le paysage du mouvement breton, il va difficilement trouver une place. De
plus, en ce début de 20ème siècle, ce paysage politique breton est assez
complexe et 1911 marque l'apparition de deux nouveaux mouvements qui changent
le paysage du mouvement breton. Ainsi , on trouve :
- l'union régionaliste
bretonne(URB)dirigée par De L'Estourbeillon, représentant un régionalisme bon
teint et conservateur.
- La fédération
régionaliste bretonne(FRB)issue d'une scission avec l'URB et qui représente la
bourgeoisie régionale bretonne.
- Le Parti National
Breton(PNB)autour de Camille Le Mercier D'Erm et de Louis Napoléon Le Roux et
qui pose les bases d'un nationalisme breton.
Emile Masson va voguer
entre la FRB et le PNB : à la FRB il est vice-président de la section
littéraire et parallèlement, il est au comité de rédaction de Breizh Disuhal,
le journal du PNB. Il ne pouvait appartenir à aucun de ces deux mouvements.
Même avec le PNB où il ne pouvait qu'avoir les liens les plus forts, sa pensée
est largement plus à gauche(le PNB de l'époque est radical et petit bourgeois).
Cela ne l'empêchera pas de signer le manifeste du PNB qui sera distribué lors
de l'inauguration du monument de la honte à Rennes. Ce manifeste pose pour la
première fois les bases d'un nationalisme breton moderne(se référant au droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes). Ce manifeste parle pour la première fois
de " nation bretonne ", " séparation intégrale avec le France
", " d'oppression française "…Si, sur le fond, les objectifs de
Masson et ceux du PNB sont les mêmes, la forme que prendra cette indépendance
les sépare. Emile Masson ne veut pas que changer de drapeaux : c'est un
socialisme libertaire qu'il convient d'installer.
Emile Masson ne trouvera
pas sa place dans le mouvement breton. Ses idées représentent l'homme et n'ont
pas d'échos dans l'Emsav . Seul Yann Sohier, lorsqu'il fondera sa revue Ar Falz
en 1933, se réclamera de la lignée d'Emile Masson(il reprend le combat langue
bretonne et socialisme). Cependant, le courant fédéraliste qui va se développer
dans le milieu des années 20 sera proche dans certains domaines de Masson. La
pensée de ce socialiste libertaire est à redécouvrir car elle est moderne dans
bien des domaines.
Article
paru dans Combat Breton N°172 (Avril 2000)