Minorité nationales (extrait)

LES LIBERTAIRES FACE AUX LUTTES DES MINORITÉS NATIONALES.

 

 

Depuis une quinzaine d'années, on assiste à un deve­loppement des luttes régionalistes, autonomistes -      ou nationalistes au sein des pays développés, no­tamment en France, alors qu'on avait longtemps pensé que ce type de revendications étaient l'apanage du Tiers Monde.

Ces revendications des minorités nationales, seulement défendues jusque là par des groupes liés à la droite, voire à l'extrême droite ( royaliste notamment ), ont été, particulièrement depuis 1968, reprises à leur compte par des mouvements de gauche ou d'extrême gauche. En se limitant à l'hexagone, de tels mouvements existent en Bretagne, En Corse, en Occitanie, au Pays Basque, en Al­sace. .

En Bretagne et en Corse, cela a donné naissance à des mouvements clandestins ( FLB, FLNC) pronant et uti­lisant des actions de guérilla, ce n'est pas le cas en Occi­tanie où le mouvement s'est plutôt développé sur le ter­rain culturel, il ne faut toutefois pas oublier que, dans la colère des viticulteurs du midi, marquée par la fusillade de Montredon, la dimension Occitane était très présente.

Les actions des autonomistes bretons et corses se sont heurtée_ à une répression très vive de la part de l'Etat français et il y a actuellement de nombreux détenus politiques bretons et corses; leurs condamnations sont généralement très lourdes: 15 ans de prison pour les bre­tons qui ont plastiqué le chateau de Versailles.

-Les libertaires ne peuvent rester insensibles à ce phéno­mène. Au-delà du soutien que nous ne pouvons manquer d'apporter aux victimes de la répression étatique, il nous faut rechercher sur quelles bases théoriques peut reposer une position libertaire sur la question et déterminer quels sont les aspects de ces luttes qui nous apparaissent positives et ceux.. qui sont négatifs- Cet article â pour ambition de rechercher des points de repère, des élé­ments de réflexion permettant d'amorcer un débat.

1 Approche théorique: l'évolution des positons libertaires

Les opinions anarchistes sur la question oscillent entre deux pôles:

- un appréciation totalement négative, par laquelle on dénie tout intérêt révolutionnaire à ces luttes des minori­tés n3tionales.

- une appréciation beaucoup plus positive, estimant qu'il y a de nombreuses convergences entre luttes libertaires

et luttes régionalistes.                   .

La seconde tendance, qui s'est développée au cours des dernières années, semble la plus importante à l'heure ac­tuelle, mais les deux positions continuent de coexister' ( avec les variantes et les intermédiaires ).

a) La position classique : l'anarchisme n'a rien à voir avec les luttes des minorités.

Trois éléments traditionnellement constitutifs de l'anarchisme, et toujours valables aujourd'hui, peuvent con­duire à une attitude de méfiance et de rejet vis à vis du régionalisme:

- l'internationalisme: les solidarités nationales sont une création de la bourgeoisie pour diviser les travailleurs et maintenir sa domination, les anarchistes ne veulent pas considérer que la solidarité de classe et l'unité profonde de tous les travailleurs, au delà des frontières et des lan­gues.

- L'individualisme: l'individu, entité abstraite, est posé comme un absolu; le but de la révolution sociale est la désaliénation, la libération, l'épanouissement des indi­vidus; cet objectif ne peut passer au second plan au pro­fit d'idéaux collectifs ( patriotisme, défense des cultures régionales, etc ).

- Toutes les formes culturelles, y compris la tradition et les cultures régionales apparaissent soit comme l'expres­sion de la classe dominante, soit comme une aliénation passéiste (cultures pré-révolutionnaires). Le mot d'or­dre est clair: « du passé faisons table rase».

Un autre élément, plus contestable aujourd'hui, tient à l'ancrage de l'anarchisme dans le mouvement ouvrier. Bien que moins marqué que le marxisme par l'idéologie productiviste et progressiste de la société industrielle conquérante de la fin du 19ème siècle et du début du 20éme siècle, l'anarchisme a cru au progrès, à une évolu­tion historique qui condamnerait à la disparition les particularismes culturels, au profit d'une civilisation universelle basée sur la science et la technique.

b) La tendance contemporaine à une appréciation positi­ve du phénomène.

Aujourd'hui, cette négation de l'intérêt du particularis­me culturel est largement battu en brèche, sous l'in­fluence notamment de l'ethnologie et de l'écologie.

I'ethnologie nous a fait découvrir des éléments quasi libertaires ( en tout cas anti-étatiques, anti-hiérarchiques, anti-autoritaires ) dans des civilisations parfois très loin­taines (indiens, certains peuples africains) ou dans des cultures régionales dominées­

L'écologie nous a montré qu'il fallait, pour l'équilibre des éco-systèmes, privilégier la diversité, la complexité, les différences. Elle nous a montré que les cultures à base agro-pastorales recèlaient plus de possibilités d'in­sertion positive dans l'environnement que nos sociétés techniciennes. ,

Deux sortes de conséquences peuvent en être tirées:

. à l'affirmation et à la revendication de l'égalité abstraite se substituèrent la proclamation et la revendication du -droit à la différence- Cela entraîne un regain d'intérêt pour toutes les minorités ( ethniques, culturelles, sexuel. les, dissidents politiques, etc ) et le rapprochement avec leurs luttes.         ­

- La prise de conscience de l'impossibilité de faire véri­tablement table rase du passé. La révolution ne peut constituer ce départ à zéro dont nous avons rêvé: d'une part l'Etat et le capitalisme n'ont pas absolument tout modelé, il subsiste des éléments précapitalistes qu'il peut être intéressant 'de conserver dans une perspective écologique et libertaire,et d'autre part il n'est pas ininté­ressant de rechercher dans les racines culturelles des peu­ples ou minorités ce qui peut fonder une culture libertai­re- Ce n'est certainement pas un hasard si les expériences libertaires les plus avancées ont eu lieu en Catalogne, en

Andalousie et en Ukraine, là où des éléments de la culture régionale traditionnelle allaient dans le sens de l'autogestion, de l'autonomie.

(...)

IRL 15 Avril 1979