Question nationale
Socialistes, communistes et souvent anarchistes sont à tel point omnubilés
par les problèmes sociaux, qu'agiter devant eux la question nationale vous fait
passer pour légèrement farfelu; les classes travailleuses luttent contre le
capitalisme ou l'Etat, il n'y a pas à sortir de cela ; tout autre objectif ne
peut être qu'une diversion - d'ailleurs suspectée d'être inventée par le
Capital. Mollet proclamant que « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
est contraire au socialisme » - ne fait au fond qu'exprimer avec cynisme ce
qu'ont toujours pensé les partis ouvriers. Puisque ces partis luttent pour les
travailleurs, tous les exploités n'ont qu'à entrer dedans, sans distinction de
race, de langue ou , de nationalité... et puis tout s'arrangera. Sans parler
des partis ou même, des syndicats qui ont éloigné d'eux volontairement et
systématiquement les travailleurs appartenant à des populations inférieures,
arriérées, « indigènes »... En fait, la prépondérance de la métropole s'est
exercée non seulement dans le domaine capitaliste, économique et politique,
mais aussi dans les organisations ouvrières. Les populations opprimées
nationalement J'ont été non seulement par l'Etat dominant, mais simultanément
par-les partis d'opposition ou les mouvements ouvriers syndicaux organisés en
fonction de cet Etat, contre lui mais à son image. Il y a un impérialisme
socialiste et syndical comme il y a un impérialisme capitaliste militaire.
religieux, économique et politique. Cet impérialisme est fondé sur le même
préjugé que l'autre: c'est-à-dire que les peuples retardés n'ont qu'à suivre
les plus évolués, se laisser guider par eux, et les rattraper pour s'assimiler
à eux, à leurs méthodes. Même préjugé contre tout particularisme, tout
séparatisme. .
Or, la réalité est
toute différente, et l'histoire montre chaque peuple refaisant l'expérience de
ses devanciers, mais à Sa manière, dans son propre cadre. La prise de
conscience de classe n'efface pas, qu'on le veuille ou non, la conscience
d'appartenir à une autre communauté de langue, de territoire, de coutumes, que
le prolétariat métropolitain. C’est cette évidence que les théoriciens et
politiciens marxistes ont mis si longtemps à comprendre. C’est ce droit à
s'organiser, même pour la lutte de classe, à l'intérieur de chaque peuple; de
chaque collectivité linguistique et non pas sans distinction de peuple, de
langue, etc... qu'ils ont été si longs à admettre.:. .
Noir et rouge numéro spécial sur le nationalisme N°s 7 - 8 - 1957