RÉGIONALISME ET FÉDÉRALISME

Un peu partout dans le monde, notamment en France. Les ethnies régionales sont reniées, délaissées, étouffées par pouvoir central. Ces ethnies, dites minoritaires parce que ne correspondant pas aux normes de culture, de genre de vie. de langues définies par les Etats, essaient de faire entendre leur voix et réclament la reconnaissance de leurs particularismes.

En France, la départementalisation – du pays en 1790, la centralisation absolue de Bonaparte ont eu pour conséquence l'anéantissement des originalités régionales dans le moule uniforme de l'étatisme et du centralisme.

Economiquement ces régions sont dans une situation de COLONISATION qui se manifeste par le pillage des ressources naturelles et humaines, l'oppression culturelle des populations et l’assujettissement administratif et politi­que des individus. Un des exemples les plus significatifs en France, l'Occitanie (1). L'opération prestige de Fos -sur Mer est la réalisation type procédant de la colonisation. Complexe industriel démesuré construit au béné­fice de l'industrie européenne, Fos-sur-Mer est l'exemple même d'aménagement du territoire imposé par le centra­lisme étatique à la botte du capitalisme, sans considéra­tion des contingences sociales, culturelles et urbanistiques de la région concernée. Sur le plan culturel, la langue occitane n'est pratiquement pas reconnue alors que celle-ci était une langue internationale au XIe siècle. Politique ment, l'Occitanie. Comme toutes les autres régions fran­çaises, est dirigée par le préfet, émanation du pouvoir central, qui dispose de tous les pouvoirs de décision. Ce constat particulier ne doit pas nous conduire, comme c'est

parfois le cas, à des solutions empreintes de sectarisme, mais nous permettre d'appréhender la situation dans son ensemble

Celle-ci n'est pas fondamentalement et exclusivement le fait du capitalisme. Cet état de chose est, avant tout, la conséquence de l’existence de l'Etat, centraliste, autoritaire, répressif par essence, qui oblige la collectivité à se plier à ses exigences selon des normes définies et imposées par lui, afin de créer une unité nationale sans laquelle il ne peut subsister. Le droit il la différence est l'ennemi de l’Etat tant au niveau individuel que collectif. Les exemples historiques ont montré que, même affublé d'un masque démocratique ou populaire, l'Etat reste le régulateur des oppositions de classes. Et nous touchons là le point essen­tiel. Au-delà des revendications régionalistes dont les perspecti­ves sont parfois loin d'être révolutionnaires, c'est      l’organisation de la société fondée sur l'exploitation de l’homme par l'homme et de la nature par les classes au pouvoir qui est en cause. L'exploitation éhontée de régions entières n'est que l'épiphénomène de l'action de l’Etat pour lequel l'homme n'est que machine à produire de la chair à canon.

La solution au problème des ethnies régionales doit être globale et offrir des perspectives RADlCALEMENT OPPOSEES à celles offertes par les combattants du capi­talisme, considéré par eux comme seul responsable de tous les maux dont souffre la société. La lune contre le capitalisme ne remet pas fondamentalement en cause les bases structurelles de l'organisation de notre vie. Pire, cette lune partielle peut aboutir à la disparition de ce

Système économique, mais au maintien de l'Etat qui, à terme, aboutit à la reconstitution d'une classe dirigeante. Les mêmes maux engendrant les mêmes conséquences. Gardons-nous de réclamer de nouveaux maîtres qui nous rendront la vie aussi intolérable qu'aujourd'hui.

Pour nous, anarchistes, les particularismes régionaux ne peuvent que s’intégrer harmonieusement aux exigences de l'homme en tant que tel, c'est à dire le besoin de liberté, d'entraide, de coopération. De cette façon considérant les différenciations de I’individu qui sont la justification de son existence, les structures ne doivent en aucun cas réduire ces différences, mais former un cadre qui permette aux diversités de s'exprimer. Des groupes d’individus, par nature différents mais complé­mentaires peuvent, par leur histoire, leur culture, leur langue, leur expérience de la vie, former une collectivité ethnique différente d'une autre sans pour cela être hiérar­chiquement inférieure ou supérieure. Il n'existe pas de supérieur ou d'inférieur, mais du DIFFERENT. La vision d’un monde d’un européen n'est pas la même que celle d'un Africain, celle d'un Picard que celle d'un Corse mais, à la base, les exigences sont identiques: solidarité, égalité, liberté, désir de créer. Les structures de la société doivent trouver leur fondement dans le fait que chaque individu est un être ORIGINAL leur concrétisation dans Je res­pect des besoins naturels de l'homme et de l'équilibre écologique. Partant de ces hypothèses, l'organisation éco­nomique, sociale et administrative du pays doit pouvoir intégrer harmonieusement et sur une base égalitaire les particularismes individuels et collectifs.         ­

'Nous préconisons le FEDERALISME LIBERTAIRE comme support organisationnel qui permettrait à tous ces besoins de s'exprimer. Le fédéralisme libertaire est radi­calement à l'opposé du centralisme. Sa base est l'Homme en tant que détenteur de forces potentielles (positives et négatives), alors que le centralisme consi­dère l'individu comme une abstraction et l'utilise comme un pion déplacé au gré des caprices des gouvernants. Son fonctionnement pan des besoins humains exprimés dans des organismes librement consentis, octroie les moyens nécessaires à la réaIisation de ces besoins et laisse a l'individu le soin de concrétiser ses désirs. Le centra­lisme définit uniformément les besoins, organise auto­ritairement l'agencement des moyens et fait exécuter avec contrainte ce qu'il a décidé, Structurellement, le fédéra­lisme libertaire s'organise verticalement et horizontalement Verticalement, c'est à dire au niveau local, régional, natio­nal et international- par le biais des fédérations; horizon­talement. par l'intermédiaire des unions d'industries, de communes, etc. Chaque échelon est directement et libre­ment issu du précédent sans que le contrôle échappe à quelque niveau que ce soit à l'individu. Le centralisme est essentiellement  pyramidal et hiérarchique et le chef de l’Etat y est l'élément premier qui règne en despote sur la masse des individus sans risque sérieux de se faire éjecter.

Il s'agit donc, concrètement, partant des besoins pre­miers des individus, d'ajouter à. chaque niveau supplé­mentaire ce qui est nécessaire à la collectivité sans aban­donner le désir de base, mais en adaptant les exigences en fonction des contraintes de chaque niveau. Un exem­ple permettra de mieux comprendre. Le Conseil d'Usine décide d'agrandir ses ateliers et de moderniser son maté­riel. Au niveau communal, il faudra moduler le besoin en fonction des terrains disponibles, de la réserve de main d’oeuvre locale, du financement des installations, etc… : au niveau régionaI, il s'agira d'envisager le pro­blème sous l'angle de l'aménagement de l'espace, de l'écoulement de la production supplémentaire possible. etc.: au niveau national il conviendra de donner les moyens, les informations nécessaires à la réalisation de ce projet et de répercuter les moyens au niveau régional qui lui-même les répercutera au niveau communal qui à son tour, les répercutera au niveau de l'usine.

Ainsi, de la base, il est possible de parvenir il l'expres­sion d'un besoin collectif qui,une fois les moyens octroyés, est concrétisée il chaque niveau. Il est sur que, selon un tel schéma, les particularismes régionaux pour­raient totalement s'exprimer. Il serait tout aussi possible de parvenir il une unité dans la diversité qui ne serait plus destructive d'intelligence, de dignité, de prospérité, mais génératrice de liberté, de coopération, de création utile.

Dans cette optique fédéraliste libertaire, l'aménagement du territoire sera décidé par la base qui seule connaît parfaitement les problèmes à résoudre, comme elle seule est à même de résoudre les problèmes de production et d'échange. L'organisation de l'espace devra respecter les règles fondamentales de l'autogestion libertaire : petites unités décentralisées répondant à des besoins locaux ou intercommunaux, complémentarité des activités, harmonie des activités avec le cadre naturel, les mentalités, les habitudes de vie, respect de l'équilibre écologique si important pour l'agriculture notamment L'urbanisme élément important de l'aménagement du territoire, devra tenir compte de l'héritage historique et culturel et répondre à sa vocation première qui est de favoriser l'épanouis­sement individuel et collectif en dehors et sur le lieu de travail en offrant un cadre esthétique et fonctionnel.

Au niveau des besoins, une redéfinition de ceux-ci s'avère nécessaire lorsque l'on sait que la moitié des activités actuelles est inutile, pour ne pas dire nuisi­ble (gadgets, armement. ustensiles dont on reconnaît l'utilité à force de publicité, mais qui sont superflus). Prolongement de cette réorientation des besoins, chaque collectivité régionaIe devra pouvoir satisfaire ces besoins propres en plus des besoins à caractère général. Avant de répondre à la question «  combien créer? », il faut répondre à «  que créer? ». Le «  plus «  doit laisser la place au «  mieux », bien qu'à ce propos, les positions soient pour le moins contradictoires.. Un exemple: la C.F.D.T. prend position contre là prolifération des cen­trales nucléaires, mais, dans le même temps, lutte à court terme pour le maintien de l'emploi (2). Contradiction qu'il faudra bien résoudre si l'on ne veut pas retomber dans les errements démagogiques de l'étatisme.

Ainsi, une véritable régionalisation, intégrée dans un schéma fédéraliste libertaire, prendra pour base une col­lectivité d'individus regroupés par des liens historiques et culturels auxquels l'on donnera les moyens d'éduca­tion, de culture, de production, de transports, d'échange, de logement. C'est à ces seules conditions que les régions ne seront plus des colonies, mais des entités originales, complémentaires et solidaires. . .

Vue utopique, dira-t-on.. Voire! L'expérience de la Catalogne, en 1936, est là pour prouver qu'une société libertaire est possible, Si. Compte tenu de circonstances défavorables, l'expérience n'a pu être généralisée, elle a

conduit néanmoins rapidement à la construction d'une organisation libertaire au niveau d'une région entière : comités locaux gérant les biens collectifs, collectivités agraires dépourvues de propriétaires et réunies en fédé­rations cantonales puis régionales. Un Conseil (ISSU de la Fédération régionaIe fournit des statistiques, constitue une caisse de résistance, aide les collectivités dans le choix des cultures, semences, matériels. Sur le plan de la solidarité, les excédents d'une collectivité comblent le déficit d'une autre (3), Dans le domaine de l'industrie. même démarche: le syndicat y joue un rôle prépon­dérant Notre propos n'est pas de développer ici en détail cette expérience, mais de prouver que l'autoges­tion libertaire est une réalité potentielle envisageable et une pratique beaucoup plus bénéfique pour les individus que la propriété d'Etat ou privée.

Si une telle tentative devait un jour naître en France, elle n'aurait évidemment pas les mêmes traits, puisque les circonstances sont autres; mais la perspective devrait s’inspirer de ce que l'histoire nous a apporté.

Malgré les prédictions de Trotsky, le « Galliffet de la révolution russe », l'Espagne ne sera pas le tombeau de l'anarchie. ..

Patrick BERLHE.

Le monde Libertaire (juillet 76)

(1) L'Occitanie : ques aquo (L'Occitanie, réalité d'hier et d'aujourd'hui)'

(2) Monde Libertaire de novembre 1975 : «  L'atome,l'écologie et l'emploi » Em de Severac.

(3) L'Espagne libertaire, de Gaston LevaI.