N'AYONS PAS PEUR DES LANGUES !

dimanche 21 octobre 2001

Un sujet qui se heurte à l'irrationnel

Lorsquil s'agit de langues, sujet à priori bénin, on se heurte rapidement à l'irrationnel, un peu comme quand il s'agit de débattre de religion, et l'on ren force ses convictions (en fait sa propre sensibilité) à l'aide d'arguments que ne contesteraient pas des gens dont tout nous sépare en principe. Le débat sur les langues régionales en milieu libertaire n'échappe pas à cette règle. Je suis libertaire, espérantiste et gasconophone, ce qui est complètement compatible. A la base, j'aime les langues, toutes, du yiddi sh au swahili en passant par le picard et le volapük (si, si ... ). C'est pourquoi tout naturellement je vois d'un très bon oeil toutes les décisions qui sont prises en faveur des langues régionales. La veille du jour ou j'ai reçu le C.S. N°68, j'ai animé un débat-concert au Café Rex à Toulouse sur le thème "N'ayons pas peur des langues", comme je l'avais fait à Lyon en mars. C'est pourquoi l'article de X.F. m'a passionné. (...)

Ce qui est donc amusant dans ce débat inter-libertaire, c'est que la ligne qui sépare les deux façons de penser traverse également toutes les autres sensibilités politiques, des trotskistes aux gaullistesjusqu'aux fascistes. Et les argument d'aller de pair : s'il est vrai que le mouve ment régional breton a été grandement teinté d'extrême-droite jusque dans les années 60, les arguments d'un Etat unifié culturellement ont été aussi ceux du général Franco, qui a interdit le catalan et le basque pour que chaque Espagnol (entendez dans sa bouche, chaque garde civil venu du sud) se sente chez lui. Difficile à manipuler dans une plume libertaire. Ex Aequo.

Il est facile de prêter à des langues et à ceux qui les utilisent des intentions qu'ils n'ont pas. En effet le mouvement qui milite en faveur de l'occitan n'a pas, depuis Philadelphe de Gerde, écrivain bigourne (qui s'habillait de noir en signe de deuil pour la bataille de Murer en1213) ou Frédéric Mistral, royaliste, (on ne parle pas du Félibre rouge, par contre) cessé de revendiquer l'ouverture culturelle et le métissage (on met en avant l'université de Montpellier qui, au Moyen-âge, était riche de chaires tenues par des professeurs arabes et juifs). Je ne citerai pas Joan-Pau Verdier (membre de la FA-oc), Claude Marti, Robert Lafont, Roger Lapassade (lire : "L'étranger") ou Claude Sicre ("Tous les métèques sur la place du Capitole !"). La grève des "carbonièrs de La Sala" (mineurs de Decazeville) a été un exemple de lutte ouvrièro-occitane.(...)

Si je défend les langues, c'est parce que je considère qu'elles représentent un trésor culturel au même titre que les statues de Boudha d'Afghanistan ou que la basilique St Sernin. S'il vous est arrivé d'ouvrir un manuel d'apprentissage de la langue basque, vous ne pourrez qu'être surpris par ces systèmes lexicaux et grammaticaux étonnants et originaux dont la mort (entendez : le non-usage) représenterait une injustice et un grand malheur.

De la science fiction …

Le passage de l'article qui m'a paru entrer le mieux dans le cadre du débat "n'ayons pas peur des langues" est celui intitulé "une langue différente pour chaque pause pipi" où X.F. s'inquiète d'une trop grande diversité linguistique en Europe. C'est de la science fiction linguistique. Il n'a jamais été question dans quelque projet que ce soit, même dans la tête des "technocrates de Bruxelles" de n'officialiser qu'une seule langue par région mais de permettre à certaines de se développer en leur donnant un caractère reconnu aux côtés d'une ou plusieurs autres. Le Val d'Aran possède trois langues officielles (gascon, catalan, castillan) et l'on peut utiliser celle que l'on veut lors de la fameuse pause-pipi, y compris le finançais ou l'anglais sans encourir le risque d'être pendu, c'est ça la richesse culturelle. Si tous les touristes qui visitent Prague ou Budapest chaque année avaient appris le tchèque ou le hongrois (ce sont les seules langues officielles là-bas), ça se saurait. Il faut savoir que dans la majorité des régions du monde, on parle 2. 3. 4 et même 5 langues sans les avoir toutes apprises a l'école mais par contact avec les autres (l'Europe est le mauvais élève, et la France, le recordland de pauvreté en ce domaine).(...) Un enfant baigné dans un environnement multilingue aura peu de problèmes pour assimiler une langue supplémentaire et abordera plus facilement des concepts qui sont étrangers à sa culture. En d'autre termes, le mutilinguisme fait baisser le taux de racisme. C'est aussi pourquoi je suis espérantiste.

L'utilisation généralisée de la Langue internationale permettrait à chacun de parler la langue qu'il veut (ou qu'il peut) avec qui il veut et d'utiliser cette dernière pour se faire comprendre en cas de besoin pourquoi pas, entre un toulousain déplacé et un strasbourgeois ou un rennais, comme il est présenté dans l'article. Bien sûr, dans ce cas-là, la langue-pont pourra être naturellement le français, car personne, mais alors vraiment personne, n'a l'intention d'interdire l'enseignement du français en France ! (même pas Le Pen, régionaliste, comme on sait). La seule chose qui me gêne un peu dans l'article, c'est que X.F. présente dès le début le mouvement qui tend à revivifier les langues comme une idée nouvelle promue par les technocrates de Bruxelles et soutenue par l'extrême droite. C'est un peu gênant et réducteur si l'on tient compte du travail réalisé depuis des decennies par des associations de terrain comme les écoles bilingues (j'y tiens) Calendretas qui ne sont ni des fascistes ni des fonctionnaires manipulateurs, je vous l'assure. Pour finir, je dirai que si le nombre de locuteurs de l'arabe par exemple est assez élevé pour lui donner une place officielle dans notre pays, je suis tout naturellement pour, car il m'est aussi désagréable de voir des enfants d'Arabes perdre leur langue que leurs parents ne leurs transmettent pas. Mais alors, si on conunence à reconnaître l'existence de toutes les langues, c'est l'anarchie !

JML - Toulouse le Mirail